Au début de l'univers, à l'horizon des événements que définit la limite de Shwarshfild, tout était très dense, très chaud, très lumineux et opaque. Et puis survint le Petit Nombril Chers et rares lecteurs, amis chers et parents pauvres, c'est avec un immense plaisir, avec de vrais morceaux de bonheur dedans, que j'ai l'honneur de vous présenter, encore tout chaud, le numéro 4 du Petit Nombril des Ricou du 21e siècle.
Il y a à peine un ou deux siècles une famille répondant au nom de Ricou se mit à publier le N°1 d'un petit journal autocentré, tout entier à sa cause dédié et doté d'au moins deux degrés d'humour. Des archéologues viennent de retrouver non seulement ce numéro originel, mais aussi ceux qui suivirent, ainsi que les avatars qui le précédèrent : faire-parts de mariage, de naissance et autres invitations. À la demande générale, et au risque de nuire gravement à sa modestie, nous nous sommes empressés de porter ces étranges vanités sur un site Internet appelé « Le Petit Nombril des Ricou du Web » (www.ifrance.com/PetitNombril), encore en construction, mais déjà visitable. À l'heure où, en levant les yeux au ciel, on invoque plus facilement son webmaster que le bon Dieu, et en attendant le jour où il sera redevenu branché d'écrire à la main, le prochain numéro sera vraisemblablement entièrement électronique. Avant donc de passer aux @voeux, profitez bien de ce, peut-être dernier, exemplaire en papier ; les décors sont de Marina, Xavier et leurs rejetons hygrophiles, et la musique de Jean-Sébastien Bach.
Mais pour le moment, parce que nous allons passer le restant de notre vie dans le futur et parce que tôt ou tard l'avenir advient, profitez dès maintenant des demains. Et si, par hasard, l'horizon, que vous aurez pris soin de saisir délicatement par les deux bords pour les replier sur eux mêmes afin d'en faire une belle fusée intersidérale, ne s'avérait pas aussi limpide et dégagé qu'il serait souhaitable, prenez votre bien en impatience jusqu'à trouver quelques éclats d'espoir parmi les débris de vos rêves brisés. Mais foin de gongorismes méthonymiques et autres analogies métaphoriques ; nous vous souhaitons plus simplement une raisonnable ébriété collective, une sobre et douce euphorie, et le meilleur du bonheur du 3e millénaire.
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À l'habitude, Xavier s'étourdit dans le travail, chaussé de multiples casquettes et cul entre plusieurs chaises. Alors qu'en Côte d'Ivoire il avait beaucoup de travail et était souvent charrette, ici il est tout le temps charrette et a parfois beaucoup de travail. Mais, ce travail est intéressant : élaboration du nouveau code de l'urbanisme, textes d'application sur la décentralisation, photographies aériennes pour faire de la planification urbaine et mettre en place un cadastre fiscal, animation d'une cellule itinérante d'appui à la maîtrise d'ouvrage communale, identification et montage de petits projets urbains, lancement d'études diverses, etc. Pourtant, l'urbanisme est un métier ingrat, qui demande des efforts énormes pour des résultats modestes et à lisibilité réduite. Alors, heureusement qu'il fait aussi un peu d'architecture : rénovation du centre culturel français et des alliances franco-camerounaises, casernes de pompiers, prisons, école de pilotes, enfin, des projets de toutes sortes où il y a quelque chose à construire. Tout cela représente aussi pas mal de déplacements en dehors de Yaoundé, à avaler de la poussière sur des pistes défoncées, à boire du Coca chaud, manger du singe, de l'éléphant, du pangolin ou du crocodile sauce termite.
Paragraphe où l'on s'émerveillera de plaisirs simples de l'Afrique et où l'on s'étonnera des séquelles inattendues du progrès. Yaoundé se croit moderne mais, depuis un an, les jour où l'eau, l'électricité, le téléphone, le gaz et Internet ont fonctionné en même temps se comptent sur les doigts d'une main. Si c'est une ville sans crotte de chien, c'est parce que les chiens ont déjà tous été mangés. On y rencontre donc souvent des crottes d'hommes. Tout ceci, apparemment, est en train de changer dans l'effervescence des préparatifs du sommet France-Afrique. De grise, la ville devient pimpante. On y rebouche des trous, on y construit des échangeurs et on y échange de la poussière. Mais les feux rouges remis en marche génèrent de gros embouteillages qui attirent nouveaux mendiants, éclopés et mange-mille. Dans la tour moderne du Ministère de l'urbanisme on trouve des rats crevés dans l'escalier et ce n'est pas une image ni le plus grand des paradoxes. La climatisation des bureaux, assurément très appréciable, oblige à fermer toutes les portes et puisque le téléphone interne ne fonctionne pas, il n'y a absolument aucune communication entre les agents. Comme les trois faces d'une même pièce de monnaie (pile, face et tranche), ces derniers ont tous un pied dans le progrès, l'autre dans la tradition et le troisième dans le doute.
Le Cameroun sera propre ou ne le sera pas !
Architecte, intermittent du développement, 17 ans d'expérience professionnelle dans le 3e monde avec la coopération française, expert en tout et spécialiste en rien, cherche boulot (bien payé) dans le même domaine. Pays presque indifférent. Profil souple et esprit modulaire. Abandonné par son ancien employeur au bord de la route des grandes vacances. Annonce sérieuse, à ne pas laisser tomber dans la prothèse d'un sourd. Plaisantins s'abstenir. Ecrire au journal qui fera suivre.
Tous les matins, à l'heure où les oiseaux klaxonnent, tandis que la tasse de café refroidit avant d'avoir été bue, arrive le Cameroun Tribune. Le canard se trempe vite. Il annonce que, la veille au soir, la salle a fait le plein d'oeufs lors du concert de Papa Wemba. Il proclame aussi que c'est le calme blanc après la marche des députés de l'opposition. Il se désole enfin que Patrick M'Boma ait têté dans le but sans parvenir à marquer. Heureusement, cela n'a pas empêché les Lions indomptables de remporter la médaille d'or aux jeux olympiques. Par la fenêtre le ciel est couvert (d'une toute petite robe de rien du tout). Deux taxis viennent de s'accrocher. Le fautif s'appelle « Air climatique 2 ». On peut supposer que « Air climatique 1 » avait déjà connu quelques soucis. L'autre s'appelle « Et pourtant il roule », c'est tout dire ! On ne peut pas dire que les chauffeurs de taxis conduisent mal, mais ils conduisent avec l'attention concentrée sur un très petit nombre de paramètres. Un troisième, « tampi pour les jalous », ralentit pour s'enquérir des dégâts, le bras gauche dépassant de la portière jusqu'à traîner par terre. Pour circuler à Abidjan il fallait réussir à éviter tous les aliens qui traversaient au hasard, comme dans un jeu vidéo. Pour circuler à Yaoundé, c'est un peu pareil, mais au niveau 2.
La maîtresse et le footballeur, par Josépha
Résignés à visiter le Nord du pays, en avion, car entre les « coupeurs de routes » et la Cameroun Airlines, il faut choisir le moindre mal, les petits Ricou ont changé de siècle dans la réserve de Waza, mangé de l'escalope d'antilope, fâché des éléphants, dérangé des hippopotames, salué des phacochères, suivi des lions, plumé des autruches, visité les cases obus de la tribu Mousgoum et attrapé des rhumes à cause de l'Harmattan.
Encore de très belles et très denses vacances en Turquie, à revoir Istambul et sa mosquée bleue, Sainte-Sophie et le Grand bazar. Mais, la plus extraordinaire et la plus émouvante c'est toujours la Cappadoce. Que de délicieuses promenades entre les cheminées de fées, à ramasser abricots juteux, noix fraîches, fruits sauvages et vache qui rit ! Que de grisantes escalades à flanc de falaise, sous le cagnard, pour y dénicher des pigeonniers cachés ou des chapelles, de frissonnantes expéditions caverneuses et d'heureuses découvertes (comme une ville souterraine fermée de l'intérieur depuis des siècles !) ! Attila a ouvert une super pension troglodyte tout confort à deux pas de la grotte familiale. Rien que la visite de son site web donne déjà envie (www.kayadam.com). Timur, fils d'Attila et de Stéphanie (soeur de Xavier), sorte de Hun modèle réduit et horde sauvage derrière lequel l'herbe ne repousse pas, a consciencieusement renversé un verre d'eau sur le tout nouvel iBook de Mamijo, ce qui retardera de quelques mois l'apprentissage de l'informatique par cette dernière. Ça n'a pas empêché celle-ci de s'envoler pour la première fois en montgolfière, façon de se rapprocher un peu plus du paradis.
Sympatiques aussi les vacances en France ! D'abord les filles sont retournées en colonies de vacances Solognottes. Puis, il y a eu Avignon et la visite d'une très belle et très ennuyeuse expo sur la beauté au Palais des Papes. Puis, une délicieuse invitation à Gordes (surtout délicieuse pour Marina la soupe de poivrons !). Puis il y a eu des piques-niques d'anniversaire nocturnes sur les pelouses de Bercy à Paris, occasion pour chacun de perfectionner sa technique de la patinette et du roller. Pendant ce temps, en Côte d'Ivoire, le pouvoir se croyait fort, alors qu'il n'était qu'autoritaire. D'hébétudes en sidérations, le climat s'est alourdi en terre d'ironie. À ce sujet, et à d'autres, pour ceux qui s'intéressent aux relations franco-africaines, nous vous recommandons la lecture de « Noir silence, Qui arrêtera la françafrique ? » de François-Xavier Vershave, en prise directe avec l'actualité et désespérant de réalité.
Manoa par Manoa sur une chaise
Josépha : 9 ans, 138 cm, la plus jolie. Une guerrière ; après le naturel désarmant, elle fait dans le charme offensif. Championne de Monopoly. N'a pas encore les moyens d'en faire voir de toutes les couleurs à ses parents. Juste une ou deux couleurs, pas plus, mais ça déménage déjà pas mal !
Un chat qui joue à Josépha-perché
Manoa : 11 ans, 141 cm, la plus belle. Appétit d'ogre et doudounes confirmées. Plus tout à fait un enfant, pas encore un adulte, c'est une enfulte. Porte désormais des lunettes pour corriger le flou artistique de son existence éthérée. Organisation de projections vidéo à ses camarades de classe, pour leur prouver qu'elle sait parler.
Manoa, casse-tête chinois à lunettes
Marina : la plus jobelle. Résultat de ce qu'elle a été et de ce qu'elle croit être, grâce à l'informatique qui permet maintenant de retoucher les photos. Mais, si le nez est rouge, c'est seulement à cause d'une allergie à l'humidité. Aucun vice connu, juste quelques grosses faiblesses. A déjà mangé au moins dix fois son propre poids en chocolat et envisage désormais piments et café au lait en perfusions.
Photo retouchée de Marina
Xavier : gringalet Sénégalais, gourou et unique adepte de sa propre secte, où l'on ne se drogue, ni ne fume, ni ne boit. À néanmoins parfois envie, en cachette, de prendre un petit coup de vieux, mais on a vu souvent rejaillir le feu d'un ancien volcan qu'on croyait trop vieux ! Expert en travail indépendant de soi et en développement des autres.
Xavier, fier de sa coupe, remportée à un concours
de circonstances exténuantes de squash
Ficelle : 11 mois, chat fille beigeasse aux yeux bleus. Echange standard avec le chat Pompon, vraiment trop con. Affection dévorante, sans limite connue, pour le singe en peluche Moka et aversion inversement proportionnelle pour l'éléphant Dadar.
Dadar, victime expiatoire du chat Ficelle
En retirant chaque mois de la bibliothèque, non pas le H. G. Wells mais le Jules Vernes, qui lui sert à mesurer sa progéniture, Xavier effectue une sorte de voyage dans le temps. Tous ces centimètres encore pris, qui viendront comme toujours étonner la poudre d'amis semée un peu partout dans le monde ! Mais il ne faut pas croire, la surprise est symétrique. Les images de ces mêmes amis, aperçus en pointillés, se juxtaposent comme sur la pellicule d'un film et défilent à l'accéléré en donnant l'impression que le temps est pressé.
Ne pouvant faire face à la demande massive d'échantillons chauds de vomi de volcan proposés dans le dernier numéro, nous proposons à nos inestimables lecteurs lésés de leur adresser en échange un spécimen certifié d'air du 20e siècle. Dépêchez-vous d'adresser vos demandes, car près de 6 milliards de souffles ont déjà presque tout respiré. Cependant, il reste également quelques diplômes d'amitié sincère et des brevets de sentiments les meilleurs.
Vénérables et inaltérables lecteurs, victimes de la tempête et de la vache folle, que nous remercions du fond du coeur et aux pieds desquels nous nous prosternons. Votre patience est grande et votre âme est grande mais vos pieds ne sentent pas très bon. Certes, le pape, lui-même, fait des bulles, mais il fait aussi des prouts, c'est sûr. C'est, en tout cas, quelque chose que nous subodorons, surtout sous les bras d'ailleurs. La question du jour est donc, pourquoi la sueur et les larmes sont-elles salées, alors que la salive ne l'est pas ?
Attention, scoop exclusif :
le premier gros plan sur le centre du nombril des Ricou
Marina a arrêté de chanter juste avant que ça devienne écoutable, mais elle continue à enfiler des perles rares ou anciennes avec toujours autant de succès. les filles ont fait un stage de claquettes, puis un stage de théâtre (rôle muet pour Manoa, bien sûr). Elles se demandent maintenant si elles ne vont pas se mettre au golf ? Vous savez, ce truc qu'on appelle sport, que l'on commence à pratiquer à la cinquantaine et où il faut poser une petite boule de 4 cm de diamètre sur une grosse de 12 800 km de diamètre, puis taper de toutes ses forces dans la première sans toucher la seconde ? Oui, on sait, ce n'est pas de l'art, mais, on ne sait jamais, ça pourrait le devenir.
L'affiche de la dernière expo de Marina
1. Comment faire entrer un éléphant dans un frigo ?
2. Comment faire entrer une girafe dans un frigo ?
3. Le lion organise un goûter d'anniversaire avec tous les animaux de la forêt. Un seul ne vient pas, lequel ?
4. Vous devez traverser une rivière infestée de crocodiles, comment faites-vous ?
Réponses :
1. On ouvre la porte du frigo, on fait entrer l'éléphant dedans et on referme la porte.
2. On fait d'abord sortir l'éléphant, puis on fait entrer la girafe et on referme la porte.
3. C'est la girafe, bien sûr, puis qu'elle est dans le frigo !
4. À la nage, tout simplement, puisque les crocodiles sont à la fête du lion C'est tout, mais n'oubliez pas, quand même, de faire ressortir la girafe du frigo.
Ami lecteur. Pour savourer ce qui reste de cette année, tu repousseras les frontières de l'hiver, comme tu as su repousser celles de tes racines, en battant des ailes au-dessus des forêts, des déserts et des océans, et tu mélangeras avec du gingembre et des épices savoureuses, la confiture de framboise, le bouquet de groseilles et le gigot de sanglier. Quant à la jouissance que te procurera le jardin de ton coeur, le mieux est de t'étendre sur un coin de couette une nuit de pleine lune et de rester ainsi étendu pendant tout un tas de temps, jusqu'à ce que tout un tas d'idées te tiennent éveillé : alors tu sauras prendre racine, et de douces fourmis viendront lécher le suc de tes sueurs tropicales.