Les Africains et l’Inquisition

Rév. : 13-11-10

 

Pratiques judaïsantes ou mahométanes

Le chercheur Guy Thilmans, disparu en 2001, a laissé des notes manuscrites à l’état d’ébauche sur un épisode peu connu indirectement lié à l’histoire du Sénégal, celle des Négro-Africains devant le tribunal portugais de l’Inquisition au XVIe siècle. Ces notes ont été publiées par Cyr Descamps en 2006, dans le recueil Sénégalia, en hommage au chercheur disparu.


Au Portugal, l’Inquisition, plus terrible encore que son modèle espagnol, est devenue officielle en 1531, mais de « nouveaux chrétiens » (juifs convertis) ou des « marranes » (juifs convertis de force retournés en secret à leur religion) réussirent à la faire suspendre. En 1547 elle fut formellement rétablie. Voici quelques extraits de procès verbaux impliquant des Négro-Africains :


Le 24 janvier 1537 comparut Francisco Fernandes, noir captif, qui dénonça Bras Caldeira, fils de Pedro Caldeira, écrivain du Trésor, pour avoir dit qu’il ne savait pas si Dieu se trouvait dans l’hostie consacrée.


Le 12 janvier 1541, un mulâtre qui avait été avec Simão Francisco, lui avait dit que sa mère était une grande judaïsante et qu’elle possédait une marmite, une écuelle et des récipients séparés, afin que son fils n’y mange pas, parce qu’il mangeait du porc, ce qu’elle ne pouvait supporter.


Le 14 mars 1541, comparut Magdalena d’Aguiar, captive noire, qui déclara que Catharina Fernandes mit un dimanche son linge au soleil à la fenêtre et lorsqu’on apposa des déclarations hérétiques à la porte de l’archevêché et qu’on lui dit qu’on voulait brûler l’homme qui les avait mises, Catharina Fernandes dit qu’on tuerait un innocent.


Le même jour comparut Antonio, le jeune fils de Clara d’Aguiar, lequel ne fut pas autorisé à prêter serment, car il paraissait âgé de moins de 14 ans, qui déclara qu’un mulâtre de Catharina Fernandes lui avait dit qu’elle mangeait de la viande à la veille de l’Ascension.


Le 23 mars 1541 comparut Antonia Lopes, mulâtresse qui déclara que lorsque eut lieu l’autodafé de l’Inquisition et qu’on brûla Montenegro, elle entendit Maria Rodrigues, nouvelle chrétienne actuellement détenue qui, lorsque la témoignante lui eut dit que Montenegro n’avait pas voulu mourir en bon chrétien lui rétorqua « Et vous autres, que l’on vous dise de devenir Maures, le deviendrez-vous ? ».


Le 26 avril 1541 comparut Leonor Henrique, femme noire, qui déclara que lui ayant proposé d’aller voir l’autodafé, Maria Rodrigues lui avait répondu : « l’enfer maudit de Dieu soit sur le roi Don Manuel qui nous fit chrétiens par force ». Elle demanda en outre à la témoignante si elle aimerait devenir blanche, ce à quoi celle-ci répondit que oui, et Maria Rodrigues de lui rétorquer alors : « Et bien donc, nous deviendrons de bons chrétiens lorsque vous autres deviendrez blancs ».


Le 19 juin 1542 comparut Gomes Fernandes, pêcheur habitant rue da Cardosa, qui déclara qu’alors qu’il se trouvait dans un navire allant à Cabo Verde, il y avait avec lui un marchand nouveau chrétien appelé Diogo Da Fonseca, lequel avait l’habitude d’observer les samedis et faisait travailler, le dimanche, les esclaves hommes et femmes.


Le 27 février 1543 comparut Genebra, noire captive de Ayres Tavares, écrivain de la Chambre du roi, qui accusa un morisco, Cristovão, de vouloir aller au payd des Maures.


Le 26 octobre 1547 comparut Garcia Homem, noir de Guinée, fils du roi de Bezeguiche (Gorée), lequel s’était fait chrétien dans l’île de Santiago. Alors qu’il se rendait au Portugal dans un navire de João Vaz de Lagos, il fut abandonné dans le royaume de Fez où les Maures le capturèrent. Il leur échappa et D. Francisco l’envoya à Lisbonne. Tandis qu’il était captif des Maures, il avait suivi leur religion.


Le 29 décembre 1552 comparut João Pinto, Noir, qui dénonça Francisco, esclave, Antonio, Jalofo (Wolof) et Antonio, Nègre, lesquels furent convoqués au Saint-Office.


Le 17 janvier 1555 comparut Pedro Fernandes, courtier d’esclaves et de chevaux, qui dénonça le marchant Goterres, lequel faisait la traite des Nègres, pour avoir dit qu’il n’y avait pas eu de résurrection.


Le 23 octobre 1572 comparut Antonio Pires, meunier, qui dénonça Gonçalo Alfonso, homme basané, curé de Landeira et João da Rosa, parce qu’ils avaient mangé de la viande le vendredi et avaient dit que ce qui entrait par la bouche ne faisait pas de mal à l’âme.


Le 18 août 1583 comparut Irina Nuñes, mulâtresse captive de Ruy de Mello, habitant à Pedreira, laquelle vint confesser avoir pêché, alors qu’elle se trouvait à la ferme de Fonte de Pedra, avec ses maîtres.


Le 9 janvier 1596 comparut João Coehlo, habitant chez João Rodrigues Torres, qui dénonça une mulâtresse de celui-ci, Leonor Ferreira, pour avoir dit qu’elle croyait aux sorts comme en Dieu.


Le 10 novembre 1597 comparut le père Fernando Novaes de Queiroga, trésorier principal de l’évêché du Cap-Vert, qui dénonça Nuõa Francez da Costa, nouveau chrétien, facteur en Guinée sur le Rio Grande, pour avoir dit qu’il préférerait un seul ongle de ladite esclave (avec laquelle il vivait en concubinage) que toutes les confessions et les messes.

 

Le Cap-Vert ayant été découvert par le navigateur portugais Dinis Dias en 1444, les échanges ont été fréquents entre le Portugal et la Côte d’Afrique à partir de cette date. Naturellement, les esclaves noirs ou mulâtres habitant ce pays devaient être convertis au christianisme